Apprendre à choisir ses koï : science et patience par Jean-Louis Cristini Pisciculture de Saint-Moras
Choisir une carpe koï, ce doit être tout d’abord une fête, pensez-vous, un peu de plaisir volé – en toute innocence ? Au diable la rigueur, l’élitisme pointilleux, dont certes, on sait bien qu’ils devraient nous animer, nous guider mais… ? Pourquoi ne pas juste écouter son intuition, décréter que la carpe qui aura plu dès l’abord est la meilleure, assurément ?
Si votre objectif est de posséder des poissons qui soient réellement “ les meilleurs ” en regard de standards exigeants, issus d’un élevage rigoureux, il vous faudra dépasser votre intuition. Ou mieux : la cultiver en approfondissant une science véritable des critères de sélection, en apprenant à peser finement des points phares : forme du corps, qualité de la peau et des couleurs, du motif qu’elles forment…
Vous souhaitez acquérir un poisson, mais tous vous semblent pareils au premier regard, quoique quelques jolies taches déjà ont attiré votre regard, vous parlent, sans trop savoir de quoi. Vous êtes profane. Ce n’est évidemment pas une condition honteuse, vous en sortirez, comme tout amateur éclairé a dû le faire avant vous : humblement, par l’attention, la patience qui vous construiront peu à peu une expérience. Mais d’ores et déjà, en première approche, il est des points sur lesquels vous pouvez porter votre attention, sans vous laisser fasciner par les quelques taches qui semblent danser avec le plus d’insistance séductrice devant vos yeux… Une harmonieuse torpille.
Comment choisir une koï ?
La forme d’une carpe koï
Commencez par vous attacher à la forme du corps, un point remarquable. C’est elle qui donne l’impression de puissance, de force – ou non ! – chez un poisson adulte. Pour que la forme soit bien celle, requise, d’une torpille, il faut que la partie la plus large soit située juste derrière les ouies pour aller s’éteindre lentement à l’attache de la queue. Une nageoire dorsale bien développée mettra le tout en relief, dans le même temps ou les pectorales s’afficheront larges, bien arrondies, permettant à votre poisson – s’il le devient – de se tenir droit et de bien “ manœuvrer ”. Autant pour la forme : si elle est convenable, approchons-nous et voyons la qualité de la peau, la “ toile ” sur laquelle l’œuvre est dessinée.
La peau d’une carpe koï
Cette qualité, c’est un peu l’Arlésienne de l’amateur de koï : tout le monde en parle mais bien peu finalement en font état très concrètement. Il faut dire que les qualificatifs qui s’y rapportent peuvent être mis en parallèle avec la dégustation d’un vin, et le vocabulaire établit vite des sortes de cénacles, où tout le monde a une image, l’exprime largement tout en faisant mine de comprendre celle des autres… S’agissant de la peau d’une carpe, on la dira “ lumineuse ”, “ douce ”, “ laiteuse ”, nous en passons, et des meilleurs !
Plus qu’à vouloir décrire à tout prix en mobilisant toutes les ressources de la subjectivité, il suffira d’offrir des critères et des comparaisons palpables, de faire rechercher avant tout une texture homogène, une netteté sublimée par les écailles qui doivent sembler être fondues dans la masse.
De là, une peau de qualité chez une koï sera très proche de ce qui peut être la peau d’un enfant : une sorte de lissé que seul l’âge vient corrompre. On peut souligner ici que les koï femelles, sans doute pour des raisons hormonales, gardent une délicatesse cutanée plus grande que les mâles en avançant en âge !
Choisir une carpe koï : la couleur
Couleur & couleurs Si la couleur peut fasciner, piéger les premiers regards, profanes, vers le coup de cœur, ce caractère est, avec l’habitude, un aspect au contraire très rationnel, analysable. Une règle est-elle de favoriser un rouge bien vif, notamment chez les kohaku, les koï “ de base ” ? Ce n’est pas une finalité, obligatoirement. La génétique s’est mêlée de quelques caprices, et telle lignée Sensuke donne ainsi une impression plus orangée que d’autres sans que ces poissons puissent être décrits autrement que comme “ magnifiques ” !
Ou encore : de grands champions consacrés au Japon apparaissent oranges parmi d’autres vraiment très rouges. Ce n’est donc pas là le critère déterminant. C’est uniformité, l’homogénéité de cette couleur qui est primordiale, l’unité de la teinte donnée sur l’ensemble du corps qui fait l’élément le plus important.
La couleur sur la tête peut être un peu plus soutenue – il n’y a là pas d’écaille! – mais attention aux koï dont le motif est blanc, les bekko, shiro… : un rien de jaunâtre sur la tête les privera irrémédiablement de cette impression de netteté qu’il faut rechercher. Remarquons ici qu’un sumi – tache noire – encore à apparaître donne lui aussi une impression de flou, notamment sur les showas (boke), mais dans ce cas, il ne s’agit que d’une une étape obligatoire, un état transitoire qui ne doit donc pas inquiéter.
Choisir une koï : le pattern
Vision d’ensemble Le motif enfin – ou pattern dans la langue de Shakespeare, qui souvent déborde – complète l’appréciation d’une koï. Il y a là à prendre en considération les standards, en constante évolution, de chaque espèce. Toutefois, parmi les constantes, on peut souligner la taille du motif : un large drapé autour du corps est de meilleur effet que de petites taches peu nettes et/ou trop diffuses.
Et aussi les contours des taches sont un point à considérer avec attention : la précision avec laquelle s’arrête une couleur, nettement et sans bavure, est primordiale. Qu’elle soit coupée à travers une écaille (kamisori-kiwa) et la finition est incomparable, comme si un peintre était passé par là. Votre attention a été guidée tout au long de cette page loin de ce qui aurait été votre première tentation : vous obnubiler du motif. Voici le moment d’être récompensé de votre patience : sur une koï dont vous aurez reconnu la forme et la peau comme de première qualité, vous pouvez enfin vous laisser entraîner par le motif dans une découverte du poisson comme un ensemble, depuis la tête jusqu’à la queue, comme vous regarderiez un paysage.
Regardez l’ensemble, puis les premiers plans : le tout doit s’imbriquer pour dégager une sensation de cohérence, une couleur peut s’afficher un peu trop présente, un côté de l’animal être plus fourni, gardez l’ensemble en tête, cette frontière entre la science et une intuition désormais en friche, qui se réjouira d’être cultivée toujours davantage. L’addition de ces particularités, et de celles propres à chaque variété, dont vous apprendrez peu à peu les arcanes, qui vous aideront dans votre acquisition. Un dernier point : la koï parfaite est un Graal, et c’est certainement un bien : il est édifiant de rêver longtemps, tranquillement au fil d’un long itinéraire…